Quels sont les mécanismes psychologiques qui interviennent dans le harcèlement moral ? Le harcèlement au travail, c’est exercer un pouvoir moral sur quelqu’un qui en a moins. De part mon activité de psychanalyste, j’ai eu plusieurs fois l’occasion de “soigner”des victimes de harcèlement. A chaque fois, le processus conduit le “harcelé” à vouloir quitter son poste, et c’est précisément le but recherché par le “harceleur”, un supérieur hiérarchique, qui cherche à se débarrasser d’un élément indésirable dans l’entreprise à moindres frais (sans verser les indemnités de licenciement puisque la victime n’a plus d’autre solution pour s’en sortir que de démissionner). Le harcèlement conduit peu à peu la victime à se sentir nulle. Plusieurs cas de figures : on lui demande d’accomplir un travail, que l’on n’utilise pas, ou qu’on démolit systématiquement pour bien lui faire comprendre son inutilité. Ou bien, on lui donne de moins en moins de travail, des dossiers de plus en plus minces, de moins en moins important. Non, jamais on ne lui demandera de partir, mais il comprendra de lui-même qu’il n’est plus désiré. Il ne fait plus l’objet d’aucune reconnaissance. On oublie de le convoquer à certaines réunions. Mais s’il s’y présente, on l’accepte. En fait, c’est un processus insidieux, caché, invisible, sans violence verbale ou physique qui conduit le harcelé à perdre confiance en lui et à se convaincre lui-même de son incompétence. Et c’est ce qui rend le harcèlement moral au travail si difficile à combattre. Qui est plus enclin à être victime de harcèlement moral ? Les femmes sont-elles plus touchées ? Le harcèlement moral fait toujours intervenir 2 personnes : le harcelé et le “harceleur”, la victime et le bourreau. N’importe qui peut devenir une victime, à tous les niveaux de la hiérarchie de l’entreprise. Néanmoins, certaines personnes sont plus enclines que d’autres. Les victimes faciles sont celles qui croient le plus en l’entreprise. Elles sont moins critiques et sont respectueuses de la hiérarchie. “Si mon supérieur hiérarchique me fait comprendre que je suis mauvais, ça ne peut qu’être vrai, puisqu’il est au-dessus de moi (donc plus “intelligent”).”. Ce sont souvent des personnes qui s’investissent énormément dans leur travail (intellectuellement ou physiquement, mais surtout affectivement) qui tient dans leur vie une place prépondérante. Leur vie personnelle, à côté du travail, est peu développée. L’entreprise représente le père, voire la famille. C’est pour cela que les répercussions psychologiques sont si importantes, pouvant aller jusqu’à la chute, l’écroulement, bref, la véritable dépression. Je ne crois pas que les femmes soient spécifiquement plus touchées que les hommes. Ce qui est sûr, c’est le caractère viril du harcèlement. Il s’agit d’une position masculine, phallique, mais qui peut être exercée par un homme comme par une femme. Que faire pour lutter contre l’atteinte psychologique que représente le harcèlement moral ? Le plus inquiétant dans le harcèlement, c’est qu’il n’existe pratiquement pas de débat autour. Le harcèlement ne se voit pas, il se ressent, il n’a donc pas de réalité. Les faits sont immatériels, il n’y a pas de traces physiques. Il est donc très difficile à prouver. D’autant plus que la victime en vient même parfois à penser que c’est elle qui est coupable, qu’elle est folle, que ce qui se passe n’est que le fruit de son imagination. En conséquence, il est nécessaire que le harcelé puisse en parler à quelqu’un qui aura une écoute bienveillante : un conjoint, un membre de sa famille, un ami, voire un psychologue, ou un psychanalyste, qui l’aidera à y voir plus clair, et à redonner aux faits une matérialité. Cette étape est cruciale car il faut éviter en premier lieu d’adopter le point de vue du harceleur, car sinon, il y a un risque sérieux de dépression, c’est à dire de dépréciation de soi. Deuxième point important : trouver des alliés dans le monde de l’entreprise : les délégués syndicaux, les inspecteurs du travail, les avocats spécialisés dans le droit du travail sont des aides efficaces, car ils connaissent le problème. Enfin, il ne faut pas hésiter à consulter un psychologue ou un psychothérapeute, si des signes de dépression se font sentir, ou si le sujet pense qu’il renouvelle une situation déjà vécue dans le passé. Car alors, le traumatisme présent ouvre des plaies anciennes, et nécessite un traitement global pour essayer de comprendre l’origine du traumatisme, pour vivre au mieux avec. Par Mickaëlle Bensoussan Pour en savoir plus http://www.contreleharcelement.com